Uber eats : après le chauffeur Uber, la justice bientôt en selle ?

croqueuse de livreurs

Le syndicat CGT avait déjà remporté une première victoire en obtenant auprès de la cour de cassation la requalification en contrat salarié du statut d'auto-entrepreneur d'un livreur à vélo ayant travaillé pour la société Take Eat Easy, laquelle s'était rangée des voitures au jour du jugement. https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1737_28_40778.html .

Cet arrêt de la haute cour marquait un temps fort dans le retour de la lutte aux abus du statut d'auto-entrepreneur, à cette différence près que ce ne sont plus des entrepreneurs que viennent les abus ... mais des employeurs.

La requalification le 4 mats 2020, toujours par la cour de cassation, du statut d'un chauffeur Uber en contrat salarié vient encore fragiliser les plateformes de fourniture de services.

Si dans le cas Take eat easy c'est avant tout un système de géolocalisation du livreur et un système de bonus-malus qui avaient déterminé la cour à considérer comme un lien de subordination le lien unissant le prestataire à la plateforme, c'est, dans le cas Uber, l'autonomie dans le choix des clients et la liberté de fixer les tarifs que la cour a recherché, sans les trouver, pour arriver à la même conclusion.

Théoriquement, on peut anticiper la suite de ce feuilleton juridique : mis bout à bout ces deux arrêt aboutissent à la requalification en salariat du statut des livreurs uber-eats, deliveroo, etc... . Il suffirait bien entendu d'appliquer aux livreurs les moyens invoqués dans son arrêt du 4 mars par la cour de cassation.

Théoriquement, car la démarche n'est pas si simple :

En droit du travail, Français ou Européen, l'action de groupe est limitée aux litiges relevant d'une situation de discrimination, telle que définie par les articles L.1132-1 et suivants du code du travail. Les recours en requalification ne peuvent donc s'exercer qu'à titre individuel. Or, dans le cas Uber proprement dit par exemple, le siège est situé aux pays-bas, le contrat rédigé en néerlandais... : tout est fait pour que, bien qu'une issue favorable au demandeur ne puisse être sujette à caution, et bien que les dédommagements, calculés sur la base de l'ancienneté de la relation entre la plateforme et le demandeur soient relativement substentielles et viennent bien sûr s'y ajouter des dommages-intérêts, lesquels se verraient à coup sûr souvent majorés par les successifs accidents de la route — parfois fatals, hélas— dont sont régulièrement victimes les livreurs à vélo, tout est fait donc, pour que les frais de justice (traduction de tous les documents, par exemple) soient tels qu'ils revêtent un caractère fortement dissuasif, particulièrement efficace auprès d'une population de sous-traitants jeune, inexpérimentée et popérisée. 

Il n'est toutefois pas interdit d'espérer qu'un livreur (pourquoi pas un étudiant en droit ?), déterminé, pouvant se prévaloir d'un bon nombre de kilomètres au compteur et en mesure de le financer, s'engage dans ce combat contre Goliath.

La cour de casstion ayant a d'ailleurs tellement mâché le travail que l'on voit mal en quoi l'aide juridictionnelle serait insuffisante à mener à bien un tel parcours judiciaire.

On peut aussi miser sur les syndicats de coursiers à vélo qui vivent actuellemnt un véritable baby-boom en france.

Car la question pécunière, si l'on comprend bien combien elle est loin d'être négligeable, n'est pas non plus le seul enjeux de ces contentieux qu'à coup sûr on verra bientôt s'inviter dans les prétoires. Si parmi les livreurs et coursiers à vélo, la préférence d'une part va vers la liberté, aussi relative soit-elle, que leur procure le statut d'auto-entrepreneur, quitte à lui sacrifier une part de leur rémunération et à verser des cotisations URSSAF, tous sont unanimes sir la question de la protection sociale.

Et c'est bien là le principale avantage que ces jeunes travailleurs ont à retirer d'une relation salariale avec les plateformes. Répétons ici ce que chaque cycliste assidû a appris dans sa chair... et ses os : qui dit vélo dit chutes. Surtout lorsque le pic d'activité se produit en hiver et que les actuelles évolutions climatiques ne suffisent pas encore à dégeler toute la France. Surtout (et votre serviteur en a fait les frais) lorsque le développement du tramway pose et impose un peu partout dans principales artères des villes des rails dont la largeur fait de très efficaces pièges à pneus.

Or notre brave livreur, qui, à l'issue de la fortuite rencontre entre la roue avant de son vélo et le rail verglacé du tramway, s'en sortira, chanceux dans son malheur, avec pour tout dommage corporel la classique clavicule cassée, ne remontera pas en selle avant un bon mois. Mois durant lequel, outre le fait qu'il lui faudra espérer la visite des collègues pour lui couper sa viande, il ne bénéficiera, puisqu'il est travailleur indépendant, d'aucune compensation de sa perte de rémunération.

Salarié, non seulement il bénéficierait d'un complément d'indemnité au titre de la législation sur les accidents du travail (art. L411-1 et suivants du code de la sécurité sociale), mais encore, l'employeur étant tenu à une obligation de sécurité de résultat et devant prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité des travailleurs (art. L4111-1 et suivants du code du travail), l'accident ne serait-il très probablement pas survenu : soit que l'employeur eût préféré ne pas risquer la santé de ses livreurs, soit qu'il leur eût fournit des pneus adaptés aux circonstances.

Plus largement, le statut salarial des livreurs et coursiers à vélo permettrait que ces jeunes courageux roulent sur des machines régulièrement entretenues et réglementairement équipées, notamment en matière d'éclairage et d'avertisseur sonore, accessoires qui leur font parfois défaut.

Parions pour finir que, sur le vélo, la position de salarié réconcilierait nos amis livreurs avec les automobilistes comme avec les piétons, dont la vindicte à leur égard se fait entendre de plus en plus haut et de plus en plus fort, en leur imposant le respect du code de la route et en leur interdisant l'usage des trottoirs, épargnant du même coup leurs précieux molets des joyeuses morsures de ma huskye. Mais là, je ne peux parler que pour les téméraires livreurs stéphanois qui, pressés par le paiement à la tâche, ne craignent pas de frôler un loup blanc... .

Publié le : 10-11-2020

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Les avis de la communauté.

4/5
Très bien
1 avis

diag

4/5

4/5

Le 10 Novembre 2020

Très bien

Informations pertinentes. Manque les références de l'arrêt du 4 mars.

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